Vous avez déclaré : « Je ne peux pas faire de cinéma sans tenir compte de ce qui se passe dehors ». j’ai l’impression que cela résume parfaitement votre filmographie.
Je suis une éponge. Cela me vient tout naturellement. Je ne peux pas imaginer un cinéma qui serait tourné vers moi et qui ne serait pas tourné vers l’extérieur. En regardant les autres, je regarde ce qui résonne en moi. En ce sens, on peut parler de cinéma d’auteur. Je suis absolument passionné par les gens et leurs histoires. Par ce qui n’est pas moi en fait. Parce que cela m’étonne, ça m’épate, ça me surprend. J’écoute beaucoup les gens et ils me parlent facilement. Depuis toujours. Cela remonte à mes années Club med. J’avais 17 ans. C’était le Club Med des années 50, celui des vacanciers qui prenaient leurs congés payés. Il y avait un vrai mélange social. C’est sûrement là que j’ai commencé à faire du cinéma. Je passais mon temps à ce que les gens me racontent leur vie. Cela m’a confirmé cette envie que j’avais depuis longtemps de me tourner vers les autres.
Il y a un vrai paradoxe avec votre filmographie : vous êtes l’un des cinéastes français en activité qui cadre le mieux et pourtant vous n’avez jamais appris ce métier. Votre éducation cinématographique, vous l’avez faite avec votre mère en allant voir des films.
C’est vrai, je n’ai jamais appris. J’ai effectivement vu tellement de films, j’ai tellement aimé ça que je ne me suis jamais occupé de comprendre la technique. Je me suis toujours laissé aller à l’émotion. Je n’ai jamais réfléchi au découpage d’un film. Ce sont des questions que je me suis posé bien plus tard. J’étais vraiment une éponge à émotions. Orson Welles disait qu’il fallait 48 heures pour apprendre à faire du cinéma, tout le reste, cela ne s’apprend pas. J’ai eu la chance de rencontrer très tôt dans ma carrière un chef opérateur qui m’a expliqué que c’était mon œil qui allait tout me dire. Que tout allait venir après naturellement.
A 15 ans, avec mon frère, Marc, on allait sur Paris pour voir un Bergman et après on enchaînait avec un John Ford et le soir en rentrant on regardait un film à la télé. Et après, on mélangeait tout ça. Et de tout ceci est né le cinéma que je fais sans que je sois capable de l’analyser.
Vous êtes attiré par le format en cinémascope. A quelques exceptions près, vos films sont en scope. D’où vous vient cette attirance pour ce format ?
Cela vient de l’enfance. On regardait des films sur la télé dans un petit carré et quand on allait au cinéma, il y avait une telle ouverture de l’espace, on se retrouvait face à un écran large. Cette idée d’aimer le cinéma en grand format m’est restée. Après j’ai découvert des films au format plus petits, notamment le cinéma de Cassavetes qui est tout aussi beau et fort mais je crois que j’aime vraiment le grand format.
Encore une fois, c’est l’œil qui dicte mes choix de format. Par exemple, sur Force majeure qui est un de mes rares films non tournés en 2.35, j’avais fait des essais avec un format large mais je me sentais plus à l’aise en 1.85. Peut-être que comme dans Strictement personnel qui lui aussi a été tourné en 1.85, il n’y avait pas de grands espaces à filmer dans Force majeure.
« Je fais des films un peu comme je suis : petit, maigre et nerveux »….
(rires). C’est vrai ! C’est une conversation que j’ai eu avec Bertrand Tavernier et il se moquait de moi. Je lui disais que dans ses films, il y avait souvent un quart d’heure en trop car il est imposant, lourd, c’est un bon gabarit. J’ai toujours trouvé que son cinéma lui ressemblait physiquement. C’est ma vision du cinéma, elle est peut-être fausse. C’est peut-être très con comme analyse ?
Votre dernier film, Les Hommes du feu, justement, répond à ce côté tranchant que vous aimez. 95 minutes avec le générique.
J’en ai marre de ces films où il y a toujours 15 minutes en trop. Le nombre de fois où je sors d’une salle en me disant que c’est dommage de ne pas avoir coupé à certains moments, en regrettant ce ventre mou qui affaiblit l’impact du film.
Pour Les Hommes du feu, c’est presque l’inverse. Lors des avant-premières, j’ai eu beaucoup de retours de personnes qui regrettaient que le film ne soit pas plus long. Au point qu’ils n’auraient pas craché sur ce petit quart d’heure que j’ai justement enlevé. C’est l’époque qui veut ça peut être, cette habitude d’être en face d’un film (plus) long.
« Dès qu’on dépasse une heure trente, je suis malheureux. » Toujours cette obsession du rythme.
Il y a quelque d’immature dans mon cinéma. Je ne suis jamais sûr de moi. Je passe un temps fou au montage. Je doute sans arrêt. C’est peut-être pour ça que pour certains mon cinéma n’est pas un grand cinéma. Parce que je passe mon temps à me dire que les spectateurs vont se faire chier, j’ai constamment l’impression que ce que je fais n’est pas assez bien. J’admire les réalisateurs qui ont cette force, cette conviction de garder un plan de A à Z parce qu’ils le trouvent magnifique et sans avoir à penser à ce que vont pouvoir ressentir les spectateurs. Ils assument leurs choix jusqu’au bout. C’est une force incroyable. Moi, je trouve toujours ce que je fais pas assez bien donc j’ai tendance à couper, couper, couper.
Et pourtant, vous adorez Les Sept samouraïs qui dépasse les trois heures.
Ben oui, justement, c’est pour ce que je l’admire. Kurosawa avait réglé ce problème. Il assumait la lenteur. On admire toujours tant ce que l’on ne sait pas faire. En même temps, y a des films de Don Siegel qui dure à peine 90 minutes et qui sont des chefs d’œuvre et qui m’emportent tout autant. Il faut revoir Tuez Charley Varrick, c’est un film incroyable. On retrouve là la dichotomie entre mon admiration pour de grands cinéastes lents et de grands metteurs en scène vifs et pas du tout intellectuels.
Un des rares films vraiment décriés de votre filmographie, c’est Le Frère du guerrier et justement c’est votre film le plus long. Presque deux heures (115 minutes).
Oui mais c’est une lenteur assumée. Il y a une influence japonaise dans ce film-là. Ce côté dépouillement que j’ai toujours voulu pour le récit. Ce fut un film très compliqué à faire mais c’est celui dont on me parle le plus avec Simple mortel. Les deux films ont ce point commun d’avoir des fans purs et durs tout en ayant été d’énormes bides à l’époque de leur sortie salles. Ce sont aussi des films très à part dans ma filmographie et qui ont aussi ce lien d’avoir été tourné suite à deux de mes plus gros succès, Force majeure pour Simple mortel et Ma petite entreprise pour Le Frère du guerrier.
Justement malgré quelques échecs très durs, vous arrivez toujours à tourner régulièrement. Vous gardez la confiance des financiers….
J’ai toujours eu des producteurs qui me proposaient de faire un film ensemble. C’est vraiment le miracle de ma vie. Et je ne sais vraiment pas pourquoi ils sont toujours là avec cette envie. Je n’ai presque jamais tapé à la porte d’un producteur. Je n’en reviens toujours pas. Ce qui explique pourquoi j’ai pu faire pas mal de films au cours de ces années. L’autre explication de mon activité soutenue, c’est tout simplement parce que c’est mon moyen de gagner ma vie.
Mais comment peut-on concilier cela avec l’absence de compromis qu’un artiste se doit d’avoir…
Ah, c’est là toute la problématique. Je dois tourner parce que cela me fait vivre mais je ne dois pas pour autant tourner n’importe quoi. J’y déploie beaucoup d’énergie mais aussi énormément d’angoisse. Je dois trouver le sujet qui m’intéresse tout en m’interrogeant sur le fait que cela puisse trouver un écho auprès des financiers. C’est un sport permanent !
Justement, n’avez-vous pas trouvé un créneau assez unique entre le cinéma d’auteur et un cinéma plus populaire ?
C’est cela, je ne suis nulle part (rire). C’est l’histoire de ma vie. Je n’aurai jamais fait partie des blockbusters et je n’aurai jamais fait partie du cinéma d’auteur. D’ailleurs, je n’ai jamais voulu faire partie de l’un ou de l’autre puisque je ne peux faire que ce que je ressens. J’aime profondément le cinéma du milieu, celui qui est en train de disparaître ici et aux Etats-Unis. Un cinéma populaire mais aussi intelligent et qui essaye de tirer vers le haut. En tant que spectateur, c’est le cinéma qui m’a toujours attiré. Mais il n’existe presque plus. Les américains passent leur temps à produire des suites à tout bout champ ou des remakes et reboots. Ils ne produisent plus ces 12 films par an sur des sujets forts, riches et populaires. En France, le cinéma du milieu souffre terriblement. Et c’est donc normal qu’à chaque fois que je fais un film, c’est très compliqué. Mais quelque part, cela l’a toujours été pour moi. A l’époque du Dernier combat, qui est un film en noir & blanc et muet, j’avais comme seule référence, les sketchs comiques que je faisais avec mon frère. Pas facile de mettre en confiance des financiers avec ça. Après pour mon premier film en tant que réalisateur (Strictement personnel), je choisis comme acteur principal, Pierre Arditi qui n’avait jusque-là fait qu’un second rôle chez Alain Resnais. J’ai toujours connu les discours du genre « ah votre film, c’est un polar mais pas vraiment un polar, votre comédie, elle est sociale mais ce n’est pas vraiment une comédie ». Sur Les Hommes du feu, j’ai eu le même genre de discours : « c’est un film réaliste mais c’est aussi un film de cinéma ». Comme si le mélange des genres les empêchait totalement de voir ce qu’il y a derrière.
Et Les Hommes du feu, c’est aussi une œuvre multi genres ?
C’est un film de cinéma qui cherche à avoir la véracité du documentaire. Son glorieux aîné n’est autre que L.627, un film absolument formidable. C’est dans cette lignée là que j’ai écrit mon film. Sauf qu’il y a très peu d’action dans L.627, et la difficulté dans Les Hommes du feu, c’est qu’il y a une séquence d’action toutes les dix minutes du fait du quotidien des pompiers. Il fallait donc réussir à attraper la vérité tout en tenant compte d’un budget restreint.
Et cette limite de budget vous a-t-elle obligé à réduire vos séquences d’action ? Il n’y a finalement qu’une seule vraie scène de feu dans le film.
J’aime beaucoup terminer mes films sur un sentiment de frustration. Mais c’est vrai, si j’ai un million de plus, je finis par la scène de feu dans la nuit. Pour autant, j’adore la fin que l’on a trouvée. Et elle résume tellement bien ce que j’ai pu ressentir quand j’étais en observation dans la caserne au moment de l’écriture. On était en train de se marrer, à boire des coups et d’un seul coup, ils reçoivent une alerte, une maison est en train de brûler au cœur d’un petit village. Ils comprennent tout de suite à quel point la situation est grave. Le silence s’installe, leur visage se ferme. C’est cela que j’ai voulu retranscrire dans la séquence finale.
Vous affectionnez les fins ouvertes et c’est encore une fois le cas ici dans Les Hommes du feu. Pourtant, dans votre précédent film, Jamais de la vie, vous finissez sur Olivier Gourmet mort dans sa voiture. Le Jolivet que l’on connaît, aurait sûrement laissé le suspense sur le sort de son héros…
Comme quoi on ne fait pas toujours la même chose. Peut-être ai-je voulu brouiller les cartes ? Mais plus sûrement, il s’agit d’un film qui fermait un cycle. Je ne ferai plus jamais de film comme Jamais de la vie. Le personnage interprété par Olivier Gourmet, c’est Fred 20 ans plus tard, c’est Cluzet dans Force majeure. Cluzet, Lindon et Gourmet, c’est le même personnage, j’ai eu l’impression que quelque chose se bouclait là. Sans doute parce que j’ai dépassé la soixantaine, que je suis proche de la retraite (enfin de l’âge légal). Donc, pour boucler ce cycle, j’ai décidé de faire mourir le héros. Donc, je peux renaître.
Il y a le film que l’on écrit, celui que l’on tourne et celui que l’on monte…Comment vivez-vous ces étapes ?
C’est un chemin continu. Le scénariste (en l’occurrence la plupart du temps moi) donne tout au réalisateur. J’ai écrit, tu en fais ce que tu veux désormais. Je peux donc trahir le scénario autant que je veux sur le plateau. J’ai un cerveau parfaitement formaté pour ça. Et après le réalisateur livre le film au monteur que je suis et lui dit la même chose : « tu fais ce que tu veux ». Et le grand plaisir de cinéma que je peux éprouver, vient parfois au moment du mixage quand je retrouve les sensations premières que j’ai eues quand j’ai commencé à écrire le scénario deux ans auparavant. C’est un moment magique ! Il y a une incroyable émotion qui naît. Je l’ai encore vécu avec Les Hommes du feu.
Publié le 08/07/2017 par Laurent Pécha