Avant d'entrer dans le vif du sujet, on a décidé de retenir dans notre classement Duel, qui a eu droit à une sortie salles en France bien qu'il fut conçu pour la télévision américaine. On a en revanche exclu La Quatrième Dimension et Histoires fantastiques, deux films à sketchs signés par plusieurs réalisateurs.
Amistad (1997)
Pour : Un sujet passionnant (la condition d’esclave aux USA), la possibilité de faire un film de procès différent, la révélation Djimon Hounsou, et c’est à peu près tout.
Contre : L’une des périodes les moins excitantes du cinéaste qui ne s’est pas remis de l’expérience La Liste de Schindler (ce sera chose faite un an plus tard avec un retour à la Seconde Guerre mondiale via Il faut sauver le soldat Ryan). Rien ne fonctionne, de l’utilisation du 1.85 (alors que le scope aurait été parfait dans les séquences de prétoire, comme le prouvera Lincoln) au casting (le numéro d’Hopkins en tête), en passant par le côté très scolaire du récit et même la mise en images. On a beau le revoir au fil des années en se disant qu’on a forcément raté quelque chose, il n’en ressort qu’un sentiment de frustration face au grand film sur l’esclavage que n’est jamais Amistad.
Hook ou la revanche du capitaine Crochet (1991)
Pour : Un sujet en or pour Spielberg qui a été considéré pendant longtemps comme un cinéaste enfantin, ayant du mal à mûrir. L’identification à Peter Pan, qui est évidente et source d'une fascinante mise en abyme. La belle idée d’avoir mis en scène un Peter Pan vieux qui ne se rappelle plus de ses exploits passés et une bande originale formidable de John Williams, le seul à être à la hauteur de l’événement dans cette galère.
Contre : Abominablement long (plus de 140 minutes), visuellement atroce à de nombreuses occasions (la bataille de bouffe fluo, le bassin à sirènes…), plombé par un casting de stars qui cabotinent plus qu’elles ne jouent, Hook prend l’eau de tous les côtés. On a beau se persuader que le kitsch a du bon, rien n’y fait : on est bien en présence d’un gros plantage. Sans doute le plus lourd de son auteur, même si le film qui suit dans notre classement peut le concurrencer.
Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal (2008)
Pour : Le plaisir de retrouver Indiana Jones. La première partie du film qui tient la route, offrant même quelques séquences d’action réjouissantes (l’ouverture, la poursuite en moto). Les retrouvailles avec Karen Allen, démontrant que le duo Indy-Marion en a encore dans le réservoir. Le cabotinage assumé de Cate Blanchett en espionne russe.
Contre : Un scénario flemmard qui part en sucette dans le dernier tiers avec cette invraisemblable histoire d’aliens. Un abus d’effets numériques souvent très mal gérés. Un Shia LaBeouf, pas aidé par le rôle, qui fait un peu n’importe quoi après une séquence introductive pourtant prometteuse. Une mise en scène presque routinière qui ne cherche jamais à innover. Et surtout et avant tout, l’ombre de la trilogie originale dont cet opus ne fait qu’au mieux effleurer l'esprit, à l'image de la photographie de Janusz Kaminski tellement moins convaincante que celle de Douglas Slocombe.
Le BGG : Le Bon Gros Géant (2016)
Pour : La métaphore sur l’artiste qu’est Spielberg. Le BGG, c’est lui, et en regardant le film sous cet angle, il est plus d’une fois bouleversant. Le récit tient la route et il s’agit d’un conte pour enfants tout à fait recommandable qui de plus est techniquement impressionnant (très jolie 3D notamment).
Contre : En cherchant à être le plus fidèle au roman de Roald Dahl, Spielberg s’égare, à commencer par sa jeune héroïne, bien loin des personnages attachants de jeunes garçons qui parsèment la filmographie du cinéaste. Le look du film n’est pas des plus heureux, et on ne sent pas Spielberg aussi à l’aise avec la performance capture qu’un Robert Zemeckis. Et surtout l’humour tombe le plus souvent complètement à plat, rappelant par instants les pires moments de Hook.
Le Terminal (2004)
Pour : Une jolie fable que n’aurait pas renié le grand Capra. Avec le toujours parfait Tom Hanks, qui apporte toute l’humanité nécessaire à ce réfugié sans patrie, le récit mêle habilement charge politique (sur un ton léger) et romance. On s’y replonge à chaque fois avec un plaisir non dissimulé, conscient de sa nature presque récréative.
Contre : La montée en puissance du cinéaste, orchestrée depuis 1998 et son Soldat Ryan suivi de AI, Minority report et Arrête-moi si tu peux, prend un sérieux coup d’arrêt. D’autant plus que la suite sera du même acabit (La Guerre des mondes et Munich). Bref, Le Terminal souffre avant tout d’être nettement plus anecdotique que les autres films du maître. Malgré la sophistication de la mise en scène et le très joli score de John Williams, il y a un côté farce parfois un brin trop appuyé.
Always (1989)
Pour : Premier remake pour Spielberg et première réussite. Souvent totalement oublié dans la filmographie du cinéaste, Always mérite pourtant bien des éloges et d'attention : il s’agit de la seule pure romance du réalisateur. Comme presque toujours, son casting est formidable et c’est l’occasion de dire au revoir de manière la plus élégante possible à l’une des plus grandes actrices hollywoodiennes, Audrey Hepburn (dont c’est l’ultime film). Quant aux scènes de feu, elles figurent parmi les plus efficaces vues sur un écran de cinéma.
Contre : Si on ne tarit pas d’éloges sur le casting, il y a toutefois une exception : Brad Johnson. Le reste de sa filmographie (un paquet de séries Z) parle pour lui. Il est tellement en dessous de Holly Hunter et Richard Dreyfuss qu’il empêche Always d’être ce petit classique incontournable de la comédie romantique que le film de Spielberg avait tout pour avoir.
Pour : Considéré comme le premier film adulte de Spielberg, du moins celui où il traite frontalement un sujet historique fort (l’esclavagisme qu’il aura mis en scène au final trois fois au cinéma), La Couleur pourpre fit un carton aux Oscars. Du moins en termes de nominations (11), car il est aussi connu pour avoir subi l’une des pires déconvenues de l’histoire de la cérémonie (zéro statuette au final). Encore aujourd’hui, c’est une œuvre forte superbement mise en scène (offrant quelques-unes des plus belles transitions du cinéaste) et magnifiquement interprétée, notamment par Whoopi Goldberg et Oprah Winfrey, sans oublier le terrifiant Danny Glover.
Contre : On se demande si l’impact du film n’aurait pas été bien plus fort si Spielberg l’avait réalisé plus tard dans sa carrière. On n’y ressent pas encore la maîtrise totale dont le cinéaste fera preuve pour La Liste de Schindler, voire Lincoln. Sans oublier que même si Quincy Jones était plus que légitime pour s’occuper de la bande originale, on regrette l’absence du comparse de presque toujours, John Williams.
Le monde perdu : Jurassic Park (1997)
Pour : Pas facile de passer après Jurassic Park, et pourtant Spielberg parvient à tenir bon le cap grâce à ce qu’il sait faire mieux que personne : la mise en scène. Le film est truffé de séquences impressionnantes dont la meilleure est cet incroyable suspense autour d’une vitre sur le point de se briser et d’entraîner son héroïne dans une chute mortelle. Avec des effets spéciaux toujours impressionnants, le récit ne connaît aucun temps mort et ressemble à un enthousiasmant grand huit de fête foraine.
Contre : À l’image d’un final hautement spectaculaire en ville voulant rendre hommage à King Kong, le film ne brille vraiment pas son originalité. On a l’impression de revoir trop souvent un remake du premier métrage, avec des scènes qui n’avaient pas pu être casées à l’époque. Au point même qu’on lui préfère le 3 et son côté série B de luxe ultime. Heureusement pour Le Monde perdu, Jurassic World est venu lui prendre largement la place du vilain petit canard de la franchise.
Le Pont des espions (2015)
Pour : Un trio Spielberg (mise en scène), Hanks (acteur)et frères Coen (scénario), soit ce qui se fait de mieux à Hollywood dans leurs domaines respectifs. Un film à l’ancienne qui n’oublie jamais de refléter le monde dans lequel on vit. Le mix des univers entre les cinéastes s’avère être des plus homogènes.
Contre : Peut-être un peu trop classique et prévisible aux yeux de certains. On prend le pari que le film vieillira bien. Par contre, l’absence de la musique de John Williams se fait sentir dans l’impact de certaines séquences à suspense notamment.
Sugarland express (1974)
Pour : Premier film de cinéma pour Spielberg pour une œuvre qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit contestataire du Nouvel Hollywood. On y voit un cinéaste engagé laissant apparaître déjà sa défiance envers les autorités, un regard tendre envers la middle class sans oublier cette sacro-sainte famille décomposée qui parsèmera toute son œuvre. Outre un condensé des futurs thèmes spielbergiens, Sugarland Express est un road movie qui manie habilement le spectaculaire et l’intime, tout en offrant une fin sombre (pas souhaitée au départ par le réalisateur). Trop méconnu, le film mérite vraiment qu’on s’y replonge.
Contre : Pris entre deux monuments cinématographiques (Duel et Les Dents de la mer), le film souffre du syndrome comparaison, comme Always. On peut aussi trouver que le cinéma estampillé 70’s et son vent de liberté contestataire conviennent moins à Spielberg qu’à ses illustres compères et amis (Scorsese, De Palma, Coppola,…).
Lincoln (2012)
Pour : La réponse cinglante au ratage total d’Amistad. On peut y voir une sortie d’antidote ou de jeu de miroir bluffant où Spielberg reprend toutes les figures déjà utilisées auparavant pour cette fois-ci livrer un film quasi parfait. À l’image de son utilisation d’un scope brillant ou du choix remarquable des comédiens, à commencer par l’incroyable Daniel Day-Lewis en Lincoln, Spielberg vise juste et parvient à faire un film historique qui regarde le présent droit dans les yeux.
Contre : Malgré toute la pédagogie et les trouvailles visuelles du cinéaste, on peut trouver le récit trop scolaire et bavard. Et surtout n’y voir qu’un devoir de mémoire, une (jolie) page d’Histoire illustrée.
Cheval de guerre (2011)
Pour : Le film le plus fordien de Spielberg. Sans oublier l’influence d’un de ses réalisateurs préférés, David Lean. Alliant le merveilleux qui a marqué une grande partie de sa carrière avec la dureté de la guerre qu’il sait et ose désormais aborder frontalement, le cinéaste est totalement maître de son sujet, évitant toute naïveté ou mièvrerie. Quant aux séquences spectaculaires, notamment cette folle traversée du cheval dans les tranchées, elles font partie des meilleures de la filmographie du réalisateur.
Contre : On peut juger le film peut-être trop classique, sans doute trop « dans la lignée de ». Et les plus cyniques auront du mal à imaginer qu’ils ne sont pas simplement face à une film romanesque guimauve.
A.I : intelligence artificielle (2001)
Pour : Le duo Kubrick-Spielberg, une osmose en apparence pas évidente et qui pourtant fonctionne à plein régime. La capacité de Spielberg d’amener le film sur son terrain de prédilection, faisant de cet incroyable récit SF aux effets spéciaux extraordinaires une œuvre émotionnellement déchirante. Si Spielberg a raté sa version officielle de Peter Pan, il a totalement réussi celle officieuse de Pinocchio.
Contre : L'ombre de Kubrick : on ne saura jamais ce qu'il aurait fait du film s’il avait pu venir à bout du projet. La fin un peu trop à rallonge qui fait perdre de sa superbe à l’œuvre.
Les Aventures de Tintin : le secret de la licorne (2011)
Pour : D’un point de vue de pure mise en scène, il s’agit d’un des films les plus virtuoses jamais réalisés. À l’image de cet époustouflant plan séquence de poursuite dans la ville que l’on peut revoir sans fin. Non content d’avoir su capter parfaitement l’esprit d’Hergé, Spielberg signe une aventure littéralement trépignante bannissant tout temps mort. Il faut impérativement le revoir chez soi une télécommande à la main, tant son inventivité de tous les instants nous oblige à faire de multiples pauses pour en saisir la toute-puissance. Un des Spielberg à redécouvrir urgemment (pour preuve, en préparant ce dossier et en revoyant l’intégralité de l’œuvre, le film a fait un bond de près de 10 places).
Contre : Entre la mise en images, l’univers de Tintin qui prend forme en live, l’incroyable 3D et une bande son dopée aux effets surround, on ne sait plus où donner de la tête. Au point de rester trop spectateur de l’histoire et d’avoir l’impression d’assister avant tout à une performance technique.
1941 (1979)
Pour : Unique dans la filmographie du cinéaste et dans l’histoire du 7ème art tout court. Un film d’une liberté totale où Spielberg s’amuse comme un fou et orchestre un grand jeu de destruction massive tout en rendant hommage au cinéma hollywoodien classique qu’il affectionne tant. L'affiche US ne ment pas sur la marchandise en proclamant "une comédie spectaculaire". A chaque vision, on y puise un nouveau motif d’enthousiasme.
Contre : L’un des rares bides de Spielberg. Un échec cuisant pour un film qui peut épuiser par sa capacité à en rajouter constamment. Pas facile aussi de le relier à l’œuvre du réalisateur.
Munich (2005)
Pour : Avec Munich, Spielberg réalise le film 70’s qu’il aurait pu mettre en scène au début de sa carrière s’il en avait eu la maturité. À partir d’une reconstitution bluffante de réalisme et d’un des castings les plus réussis de sa filmographie, il orchestre un thriller passionnant qui questionne ses héros tout autant que ses spectateurs. En choisissant une constante impartialité pour un sujet brûlant, le cinéaste trouve le ton juste et réussit une fois encore à rendre complètement d’actualité un récit qui se déroule dans le passé.
Contre : Le sujet ne laisse pas indifférent et se prête à une critique facile qui jugera que tout ceci manque de finesse, à l’image de la séquence d’amour montée en même temps que l’assassinat des athlètes sur le parvis de l’aéroport. On peut également reprocher une durée quelque peu excessive.
Pentagon papers (2017)
Pour : Un des films les plus politiques de son auteur. À nouveau, il se plonge dans un passé récent pour s’ériger en garde-fou et rappeler à quel point liberté de la presse et égalité des sexe sont des combats de tous les instants. Et il le fait dans un film qui file à la vitesse de l’éclair, tout en multipliant les idées de mise en scène aussi géniales que discrètes. Au passage, il invite pour la première fois Meryl Streep devant sa caméra et lui offre un rôle somptueux. Un très grand film dont on mesura l'importance dans quelques années.
Contre : Comme ce fut le cas pour Le Pont des espions et Lincoln, on risque de reprocher au film son côté bon élève studieux et un brin simpliste dans les enjeux.
Empire du soleil (1987)
Pour : Si La Couleur pourpre fut considéré comme le premier film « adulte » de Spielberg, Empire du soleil est le premier film où il parvient à mettre son attirance pour l’émerveillement et les histoires à hauteur d’enfant au profit d’un récit sombre. C’est aussi la première fois où il traite sérieusement de sa fascination pour les récits historiques de guerre. En résulte une odyssée hors du commun où un enfant, séparé de ses parents, va grandir sous nos yeux au contact de la barbarie. Une « coming-of-age story » des plus touchantes magnifiée par l’une des plus belles bandes-originales de John Williams et par le charisme d’un jeune comédien qui deviendra une star hollywoodienne (Christian Bale). Accessoirement, c’est aussi un film qui possède un poster absolument sublime.
Contre : Pas facile de mélanger les tons, et le coup de l’immaturité du cinéaste lui pend encore au nez. Il n’est pas encore l’auteur de La Liste de Schindler et l’on peut facilement brandir le carton du sentimentalisme mièvre.
Minority report (2002)
Pour : La science-fiction va comme un gant à Spielberg. La preuve avec Minority Report, adaptation intelligente du génial Philip K. Dick, qui se permet d’être l’un des maîtres étalons modernes du genre. Première collaboration du duo Spielberg-Cruise, le film est un sensationnel rollercoaster multipliant les scènes d’anthologie (l’ouverture sur la technique du Précrime, le plan séquence des Spyders s’introduisant dans les appartements pour scanner les individus, la poursuite dans l’usine de montage, …). Suspense redoutable, photo audacieuse de Janusz Kaminski, implication totale de Cruise, inversion d’un des thèmes de prédilection du cinéaste (ce n’est plus un enfant abandonné par son père mais un être traumatisé par la culpabilité de ne pas avoir pu sauver son fils), mise en garde fulgurante d’un État privatif de libertés fondamentales, la liste des qualités et des grilles de lecture du film semble presque infinie. Sur l'affiche française du film, on pouvait lire « Le meilleur film de Spielberg » selon le critique Michel Ciment de Positif. On peut le comprendre !
Contre : Un dénouement pas totalement à la hauteur qui noie trop vite la révélation du meurtrier, nous obligeant d’ailleurs à deux séquences récapitulatives redondantes. Les fans de Dick peuvent crier au crime de lèse-majesté comme ils le faisaient déjà du temps de Blade Runner.
Indiana Jones et la dernière croisade (1989)
Pour : Sean Connery en papa d’Indy constitue une idée géniale. Son duo avec Harrison Ford est la grande force de ces troisièmes aventures du célèbre archéologue. Le ressort comique sur la manière dont ils font enfin l’apprentissage de leur relation filiale est constamment savoureux. L’entrainante ouverture sur un Indy ado (le regretté River Phoenix) est digne des films précédents, la BO de John Williams est magique, le récit au rythme impressionnant alterne scènes d’action et de comédie avec une facilité déconcertante, les décors sont toujours magnifiquement variés. C’est du Indy pur jus ! La saga aurait dû en rester à ce plan iconique de cette famille enfin réunie, galopant vers le soleil couchant.
Contre : Les effets spéciaux ont toujours posé problème dans cet épisode. C’est encore plus criant aujourd’hui tant les incrustations sont totalement indignes de ce que ILM sait et savait déjà faire à l’époque. Leur médiocrité (on est gentil) ruine l’efficacité de bon nombre de séquences (notamment celles en avion). Le récit lorgne parfois trop du côté des Aventuriers de l’arche perdue (la poursuite camion vs la poursuite char) sans jamais en approcher sa perfection absolue. Le personnage féminin (la limitée Alison Doody) ne fait jamais oublier les partenaires précédentes d’Indy. Enfin, les épreuves finales pour récupérer le Graal sont en deçà de nos attentes et ne font jamais oublier l’ouverture géniale du premier film.
Jurassic Park (1993)
Pour : Une date (technologique) dans l’histoire du cinéma : des dinosaures prennent vie sur un écran et on y croit à mort. Un pur fantasme de gosse que Spielberg amène à bon port grâce à un récit parfaitement adapté à ses obsessions (tous les héros spielbergiens sont au rendez-vous). Techniquement hors du commun (le film n’a pas pris une ride en 25 ans), s’appuyant sur une partition de John Williams inoubliable (le thème principal est l’un des plus beaux du maestro), multipliant les séquences de bravoure (l'apparition mythique du T-Rex), Jurassic Park offre une certaine idée du blockbuster parfait que ses suites n'ont jamais pu reproduire. Et pour tous les enfants de la planète, c'est l'occasion de se confronter à leur premier grand film d’horreur en étant des spectateurs privilégiés. Spielberg prend en effet un malin plaisir à martyriser ses deux jeunes comédiens constamment au centre des attaques des divers dinosaures du parc.
Contre : Les fans du roman regrettent toujours que le film n’ait pas pu offrir toutes les folles péripéties imaginées par Michael Crichton (même si les films suivants de la saga viendront quelque peu combler ce manque). En termes de film de monstres, Spielberg a fait encore mieux.
Ready player one (2018)
Pour : Une sorte de film somme du cinéma spielbergien. La première fois de sa carrière où la forme est aussi importante que le fond. Entre divertissement phénoménal (rythme, virtuosité, risque, c’est un check point de tout ce que le cinéma doit être) et réflexion testamentaire d’un artiste qui raisonne sur sa carrière, son legs et l’avenir, RPO est tout simplement vertigineux. Plus de 40 ans après avoir créé sans le vouloir le blockbuster avec Jaws, Spielberg l’envoie à une hauteur sidérante et inédite.
Contre : La fraîcheur du film dans notre tête qui nous empêche de déterminer s’il ne devrait pas être bien plus haut dans le classement. Il faudra un nombre conséquent de visionnages pour en capter toute l’importance et la richesse.
La Guerre des mondes (2005)
Pour : Sous couvert d’un blockbuster ultra spectaculaire (les séquences de destruction par les aliens sont d’un incroyable réalisme), Spielberg dresse une métaphore saisissante de l’Amérique, celle qui s’est construite dans la violence par l’extermination de son prochain (son personnage principal ne devenant héros et bon père de famille qu’après avoir tué de sang-froid). Avec son traitement effrayant de l’invasion extra-terrestre qui rappelle le sort subi par les victimes des nazis durant la Seconde Guerre mondiale (la glaçante scène du train en feu), La Guerre des mondes est sans doute le blockbuster le plus sombre jamais tourné. Tom Cruise s’y montre aussi impérial que dans Minority Report et insuffle une énergie et une émotion sans pareil. Quant à l’ampleur de la mise en scène, elle atteint un niveau rarement égalé dans la carrière du cinéaste.
Contre : Il y a toujours des allergiques à Tom Cruise qui ne le trouveront pas crédible dans le rôle. Il y a aussi ce final en apparence un peu trop heureux, laissant à penser que Spielberg ne peut s’empêcher de finir sur une note plus positive.
Il faut sauver le soldat Ryan (1998)
Pour : La guerre comme on ne l’avait jamais vue. Le débarquement sur les plages de Normandie reste à ce jour l’une des séquences les plus spectaculaires et traumatisantes auxquelles on a pu assister au cinéma. L’affrontement final dans les ruines de la ville fait aussi partie des grandes scènes du 7ème art où la science de la mise en scène de Spielberg est à son zénith. Entre ces deux moments anthologiques, le cinéaste signe le parfait film de commando en donnant à chacun des membres de son groupe l’occasion de nous toucher. Le casting est de ce point de vue d’une justesse absolue. Et si les images de guerre sont parmi les plus mémorables, on n’oublie pas pour autant l’une des scènes les plus sublimes que le réalisateur ait tourné : celle de la remise de la lettre annonçant la mort des fils. John Ford aurait été fier de son descendant !
Contre : Tel un magicien de l’image, Spielberg se la joue un peu roublard avec son flash-back introductif, même si rétrospectivement, c’est le spectateur qui fait le chemin associatif pour se tromper lui-même. Le final peut apparaître trop « américain » et appuyé dans l’émotion alors que l’impact du film n’en demandait pas tant.
Rencontres du troisième type (1977)
Pour : L’unique film où Spielberg est le seul à être crédité au scénario. Un film d’auteur que la présence de François Truffaut (formidable idée de casting) ne fait que renforcer. Quand on connaît le traumatisme du divorce de ses parents et l’absence du père au sein de la cellule familiale, voir un récit racontant comme un père immature va finalement choisir de partir à la rencontre d’une vie extra-terrestre plutôt que de rester avec sa famille, en dit long sur l’intimité que peut avoir Spielberg avec ce magnifique récit. Mais Rencontres du troisième type, c’est aussi et surtout un formidable film de SF, proposant quelques-uns des plans à effets spéciaux les plus beaux vus sur un écran. Une œuvre essentielle sur l’importance de la communication personnifiée par les 5 notes les plus célèbres du 7ème art. Rencontres du troisième type, c'est tout simplement un monument de cinéma qui se revoit avec ce plaisir inouï d’avoir l’impression de le redécouvrir à chaque fois.
Contre : Le fait de devoir parfois hésiter sur la version à regarder : celle sortie au cinéma, celle de l’édition spéciale ou la director’s cut arrivée de nombreuses années plus tard au gré des sorties vidéo du film.
Duel (1971)
Pour : Quand on pense que Duel n’est en fait qu’un téléfilm, ayant eu droit à des sorties cinéma dans divers pays du monde dont la France ! Grand prix d’Avoriaz, cette première incursion cinématographique de Spielberg peut être vue comme une cinglante profession de foi : le cinéma est avant tout une histoire de mise en scène. Entre toutes autres mains moins géniales, cet affrontement entre une voiture et un camion aurait vite tourné à vide après quelques séquences spectaculaires. Avec l’œil de Spielberg, on passe dans une toute autre dimension et le duel devient mythique, à l’image de cette sublime idée de ne pas jamais montrer le visage du chauffeur de camion. On est tous des Mann en puissance (le nom du héros, qui signifie « homme ») et l’identification est alors totale. Réussir à briser la barrière de l’écran dès sa première incursion au cinéma, c’était bien déjà la promesse que le jeune homme allait nous en mettre plein les mirettes au fil des années.
Contre : Pour paraphraser Bébel dans À bout de souffle : « Si vous n’aimez pas les voitures, si vous n’aimez pas les camions, si vous n’aimez pas les routes, allez-vous faire foutre. »
Arrête-moi si tu peux (2002)
Pour : Le plus sous-estimé des grands Spielberg. C’est aussi l’un de ses films les plus personnels, souvent mal interprété. Si, effectivement, on ne peut que louer la brillance d’un récit jazzy (sublime bande originale) qui enchaîne à un rythme effréné les séquences à l’élégance rare, il est difficile de n’y voir qu’une comédie sophistiquée comme on a pu trop souvent le lire. Arrête-moi si tu peux est avant tout un drame bouleversant d’un jeune homme qui s’invente des vies pour ne pas avoir à replonger dans la sienne où trône le traumatisant divorce de ses parents. Toute ressemblance avec l’expérience de vie de Spielberg est tout sauf un hasard, lui qui commença sa carrière en squattant en toute illégalité un bureau à Universal et qui espéra plus d’une fois à la réconciliation entre ses parents. Tout aussi jouissif que mélancolique, Arrête-moi si tu peux est le livre presque ouvert sur le cœur de Spielberg. Voilà bien une offre que l’on ne peut pas refuser !
Contre : La brillance et l’élégance de la mise en scène cachent peut être trop bien la noirceur du récit. Une œuvre plus difficile à ranger dans une case au sein de la filmographie du cinéaste. On ne voit pas assez Christopher Walken… Désolé, on cherche des arguments et comme on ne voit jamais assez Christopher Walken, ça marche parfaitement !
Indiana Jones et le temple maudit (1984)
Pour : Voilà, on sait qu’on a au moins un désaccord dans la vie avec Spielberg : il n’est pas fan de cet Indiana Jones-là et l’a souvent rappelé au cours de sa carrière. Dommage pour lui, tant mieux pour nous tant cette aventure au fin fond de l’Inde reste toujours l’un des récits les plus jouissifs que l’on ait eu la chance de voir. Encore plus mouvementé que le premier film (cette démente poursuite en wagonnets dans les mines), Indiana Jones et le temple maudit est un modèle insurpassable de maîtrise de rythme et de relance de l’action. Mais c’est aussi un film qui parvient à mêler l’humour et l’effroi avec une facilité déconcertante. On rit autant aux chamailleries façon slapstick comedy d'Harrison Ford et Kate Capshaw que l’on frémit devant la séquence du cœur arraché. Un des rares films supportant le multi-visionnage sans fin.
Contre : Effectivement, on peut reconnaître, comme Spielberg le ressent, que le film est nettement plus violent et sombre que son prédécesseur (encore que, l’original a son paquet de séquences très dures pour un jeune public). Mais le propre d’une suite réussie n’est-il pas de garder l’esprit de son modèle tout en allant explorer d’autres horizons ?
La Liste de Schindler (1993)
Pour : Le film de la reconnaissance par ses pairs. Multirécompensé aux Oscars (dont meilleur film et meilleur réalisateur), La Liste de Schindler, inattaquable par son devoir de mémoire essentiel, l’est aussi également et surtout par sa capacité à être un immense film de cinéma. La force de Spielberg est ici justement de ne jamais se tromper de medium. Il œuvre constamment pour offrir au récit des attributs cinématographiques au risque au passage de faire preuve d’éventuelles maladresses. S’appuyant sur des collaborateurs au sommet de leur art (la photo noir & blanc de Kaminski est leur chef d’œuvre collaboratif, John Williams se réinvente, Michael Khan fait des prouesses au montage) et des acteurs impressionnants (Ralph Fiennes en gradé SS compose l’un des plus terrifiants méchants du cinéma), Spielberg a la maturité idéale pour accomplir ce projet muri de longue date. Il en tire un chef d’œuvre à l’importance capitale.
Contre : Le débat autour du film et du fait que le réalisateur d’Indiana Jones soit derrière la caméra continue d’exister. D’autant que la scène de la douche apparaît toujours casse-gueule voire obscène aux yeux de certains. Des questions sans fin, à l’instar du fait de savoir si l’on peut évoquer la Shoah en mettant en avant une vision consolante qui insiste sur le sauvetage des déportés. Reste que même là, le film a gagné. En créant le débat (et non la polémique), il justifie sa raison même d’exister : ne jamais oublier.
E.T. l'extraterrestre (1982)
Pour : Après avoir « inventé » le blockbuster avec Jaws, Spielberg nous montrait dans la décennie suivante qu’il était le maître du storytelling grand public. Et pourtant, on a failli ne jamais voir E.T. tel qu’on le connaît universellement depuis quatre décennies. En effet, Spielberg avait eu l’intention de faire un film où il serait question d’aliens belliqueux. Trouvant dans le potentiel d’une relation entre un jeune enfant et un alien la possibilité de se raconter intimement (Elliott comme double du cinéaste) tout en donnant au récit un côté christique très universel (le parcours d’E.T., c’est celui de Jésus), Spielberg a changé son fusil d’épaule. Bien lui en a pris puisque E.T. a bercé l’enfance de millions d’enfants et reste à ce jour son plus grand succès populaire. Porté par la plus belle partition de John Williams, c’est une ode à la tolérance à la puissance infinie. Un des plus grands classiques modernes.
Contre : La version retouchée par Spielberg, désireux à l’époque de supprimer les armes portées par les adultes. Mais le réalisateur a reconnu son erreur et s’est promis de ne plus jamais chercher à modifier ses films. La version de 1982 est donc vite redevenue l’officielle et unique. Sinon, en termes d’arguments négatifs, on pourra juste faire la fine bouche sur des effets spéciaux un peu datés lors des vols en bicyclette.
Les Aventuriers de l’Arche Perdue (1981)
Pour : Le jour où l’aventure a eu son nom définitif, Indiana Jones. Un des personnages les plus iconiques de l’Histoire du cinéma au même titre qu’un James Bond. Une perfection de cinéma de divertissement absolue qui supporte le visionnage infini. Le prendre en route, c’est l’assurance de rester jusqu’au bout quel que soit votre emploi du temps. Un thème musical d’exception que tout le monde a fredonné un jour. Un acteur né pour le rôle. Des scènes d’action qui continuent d’enterrer la concurrence depuis presque 40 ans. Allez, on peut se l’avouer, on a tous eu un jour voulu être archéologue à la sortie d’une projection des Aventuriers de l’Arche Perdue.
Contre : Le film est quand même une sacrée publicité mensongère pour le métier d’archéologue. Car, oui, on s’est renseigné, ce n’est pas comme ça dans la vraie vie !
Les Dents de la mer (1975)
Pour : Un des films qui peut se targuer d’avoir changé les règles. Premier blockbuster de l’Histoire du cinéma au succès phénoménal, Les Dents de la mer propulsa le jeune Spielberg vers les sommets d’Hollywood qu’il ne quittera plus, lui offrant la possibilité trop rare d’avoir toujours le dernier mot sur le montage de ses films. Et dire que tout ceci aurait pu être différent si ce satané requin mécanique avait fonctionné au lieu de couler à presque toutes les prises. Obligé de suggérer son apparition, Spielberg, la tête dans le guidon, ne se rendait pas compte qu’il allait décupler l’impact de son film et traumatiser des millions de baigneurs durant des années. Film de terreur absolu à l’affiche mythique, Les Dents de la mer est aussi et surtout une œuvre où l’art de la mise en scène est à son apogée. Et ce dès l’inoubliable séquence d’ouverture ponctuée par le thème génialissime de John Williams. C’est aussi une sacrée aventure humaine où Spielberg revisite à sa sauce le classique de la littérature, Moby Dick, et donne à son trio de chasseurs de requin l’occasion de briller dans un dernier tiers où le suspense de la traque est à son comble. À nos yeux, c'est non seulement le numéro 1 de la carrière du cinéaste, mais aussi le numéro 1 tout court !
Contre : Les amoureux des requins ont raison de pester contre un film qui a défini leur animal de prédilection comme le plus dangereux des prédateurs. Voilà, ça, c’est fait ! Sinon, un public plus jeune, habitué aux CGI à outrance, pourra trouver que le requin du film fait un peu carton-pâte.
Remerciements à Aude Boutillon.
Publié le 30/03/2018 par Laurent Pécha